Préface de
La Bréhaigne

Marie-Josèphe de Clermont-Gallerande, Edilivre, 2018

Le livre de Marie-Josèphe de Clermont-Gallerande est très fort, de même que sa peinture, apparitions du Christ sous la forme d’une biche nimbée de lumière.... Et biche elle l’est un peu, puisqu’elle connaît le drame de la Bréhaigne, biche infertile. C’est pourtant le corps que suit le fil du texte, l’histoire de ce corps sensuel, érotisé, que même la douleur de la maladie terrible ne peut annihiler tout à fait.…Petites madeleines du temps de l’innocence, la sensorialité est liée à l’exode : « Depuis les loggias des chambres des malades où l’on tirait les lits roulants pour l’obligatoire repos nommé « cure » me parvenaient les senteurs oubliées des pins, des oliviers, des mimosas en fleur, ou le chant doux de la mer et la stridence des cigales, poignants rappels de l’Algérie perdue. » Après le pays perdu, les illusions perdues, faut-il pouvoir renoncer à l’enfant qui existe néanmoins pour elle seule, comme on s’ampute d’un membre ?


Marie-Josèphe de Clermont-Gallerande a le don plus que rare de réunir en elle une haute intelligence, une pensée subtile, raffinée, aiguisée aux enseignements les plus élevés, et la capacité de puiser avec une totale liberté dans les vastes profondeurs d'un imaginaire archaïque et universel : elle ignore la censure, et fait ingénument l'aveu des inavouables vérités, l’écriture est comme une petite rivière dont on suit le cours : elle est fraîche, elle est immémoriale, elle est une, elle est multiple, et en étant cette multiplicité de l'ici et du maintenant de son être incarné, traversé et divers, elle est unique !


Son récit est tressé de souvenirs douloureux, d'évocations tendres, d'échappées visionnaires, de mythes esquissés, laissés, repris, de désirs crus, d'esprit d'enfance, de rêves d'angoisse et de sauvagerie, de cruelles fatalités. Et pourtant, la cruauté de la vie, elle la fait cristalline, parce que l'amour frémit et vibre dans chacune de ses pages ! « Arriver en ce lieu, meurtrie, déçue, stérile n’allège guère le moral mais s’il me fut intolérable de voir souffrir et même mourir ces enfants malades, je me consolais en pensant au bonheur de n’être la mère d’aucun d’eux, cette douleur m’étant épargnée. »


Elle n’écrit que sur l'Amour. Et sur l’indifférence qui heurte, celle des proches, tout à leur bonheur... Sur l’indifférence sauvée par l'Amour.
De sa bouche magicienne coulent des fantômes endormis au fil d'une eau qui chante, qui passe, et qui appelle. Les images défilent. Figé et fasciné, le lecteur contemple, de la rive immobile, son plus propre et coupable visage : l'onde aux formes mouvantes l'irradie doucement d'une fraternité inespérée malgré tout... « Ceux qui recouvrent la santé après une éprouvante maladie savent le bonheur qu’il y a à jouer à nouveau de son corps, à sa guise, dans un bien-être animal, primitif « … La bréhaigne n’a rien perdu de sa sauvagerie ni de sa vitalité !

Catherine Andrieu