Poèmes de la Mémoire oraculaire
Premier recueil paru aux Editions du Petit Pavé en 2010
(Lecture par Daniel Brochard)
Première partie :
Ici, les mots sont à la fois taches de sang et taches de peinture : « Dessins rouges sillons sur mon corps ». Le corps-organe est travaillé au couteau, au sens propre : « Avez-vous mangé du foie, de la langue, du poumon [?] » C’est ainsi que des images que la morale qualifierait d’impures sont omniprésentes, habitent le poème : « Fil tranchant de ta mémoire d’eau de foutre. » Cette parole brute bannirait l’auteur de toute sépulture, de toute convention : « C’est bien connu, les cannibales n’ont pas de cimetière. » A la fois, le poète désire «sortir de [s]on tombeau de verre qui doucement glisse sur les eaux » et avoue : « Je cherche, plus que le néant, la pensée qui ne peut exister. » Quand la vie fait naufrage, le quotidien est hanté par l’apparition des morts, des suicidés, des malmenés par la vie. Le mot n’est plus un endroit où l’on se construit, mais où l’on se déconstruit : « Langues infectes sibyllines ses mains décapitées ma tête à ses genoux. » Il faut apprendre à ne pas parler, pour ressentir l’infatigable présence de ceux qui ont disparu… « Je me rappelle l’entrée en psychose », dit l’auteur, cette remise en cause que la vie parfois réserve à certains êtres fragiles. Ainsi, comme un ultime parjure, le poète affirme : « Je suis l’œuvre finie de mon créateur », c’est-à-dire ce que la vie, la nature et l’esprit ont réalisé de plus beau, de plus effrayant, de plus sincère. L’auteur puise ici au fond de l’inconscient, dans cette parole où la femme est en souffrance. Si la société condamne, si la maladie détruit, cette force de création qu’est le poème est plus que jamais au cœur de la vie.
Seconde partie : Un amour, le bord d’un canal
Chacun pourra lire et interpréter ce texte à sa façon. Je n’ai pas la prétention de détenir le sens psychologique du récit. Je sais simplement qu’il est violent, né dans la souffrance, et j’en connais toute la portée symbolique. Qui connaît le canal de l’Ourcq, ne peut plus voir cet endroit de la même façon. Car dans ce récit se joue un drame humain. Catleen est un être de papier et de mots, une âme perturbée, le produit d’une machine à écrire. Corée, lui, amant idéalisé, sait lire en elle, la voit peu à peu sombrer. Entre eux, le suicide d’une femme, Claire. La femme écrivain a trouvé en Catleen son double, un être qui va l’envahir jusqu’à la posséder tout à fait. Catleen entend des voix, devient autre, jusqu’à la folie, l’hôpital psychiatrique. Les passants dans ce récit représentent une autre entité : le lecteur. Ils voient cette femme folle prononcer des propos incohérents. De l’espace du papier à celui de la rue, c’est de l’identité même de l’écrivain dont il est question. Le lecteur ne peut atteindre que cette courte histoire ; comment préjuger de ce qui se joue au fond de l’inconscient ? L’écriture est un dédoublement. La fiction est bien plus facile à appréhender que la réalité. Catleen vit, possédée par le fantôme de Claire, par son imagination. L’écrivain trouve dans ce récit la part de merveilleux qui lui manque ; la vie réelle, elle, est chaotique, bien loin de cet imaginaire qui le hante. « La ville, c’est la mer », Catleen se noie à son tour pour disparaître du récit. Cette seconde partie des Poèmes de la Mémoire oraculaire, plonge au plus profond de la psychose, laissant un goût de sel, un sentiment de vertige, l’écho d’une voix authentique liée au dédoublement de l’auteur.
Troisième partie : Immersion
Cette pièce aurait pu être jouée au bon vieux temps du Surréalisme et aurait sans doute fait scandale. Aujourd’hui, montrerait-on un homme nu, masqué face aux spectateurs ? Les images sexuelles sont nombreuses. Le complexe de castration, les propos que l’on qualifierait de crus… L’auteur ne s’embarrasse pas de la pudeur, ne cherche pas à dissimuler, mais au contraire à montrer ce qu’une pièce vide d’hôpital psychiatrique peut réserver d’images violentes ! Ce qui ne se montre pas ailleurs nous est révélé ici : « Petite pute : Et ma pommade ! Mais… comment je vais baiser si j’ai trop mal ? » Si la Folle dit : « Je travaille à rendre visibles les forces invisibles »… rien ne semble plus pouvoir arrêter les visions et les voix ! « Les longs cheveux blonds emmêlés, le sang aux poignets comme des cordes qui se déroulent » L’absurde est au cœur de cette pièce, comme le sont la violence des propos et les symboliques dévoilées. Ici, tout est mis en scène pour que le lecteur – spectateur – se sente déstabilisé et plongé dans un endroit où il ne serait pas allé volontairement. Les visions de la Folle nous sont perceptibles, la folie nous est dévoilée de l’intérieur. L’infirmier joue son rôle de soignant, tourné un peu en dérision. « Quatre murs qui n’ont jamais suffi à faire une pièce », dit la Voix… Ce qui se voit, ce qui s’exprime est au-delà de toute réalité. Le texte rejoint malgré tout les éléments autobiographiques. C’est un fait peu commun, ignoré de tous car impossible à imaginer, que se trouver enfermé dans une chambre vide, sans fenêtre, dans un hôpital. Dans Immersion, l’écrivain dissèque son propre cerveau. En guise de médicaments, « sur le plateau, un pinceau, un crâne et un miroir »… Seule l’écriture peut rendre compte de la folie traversée. Que l’on soit dans l’acte de création, dans la neurasthénie ou dans la vie quotidienne, cet imaginaire se révèle parfois à notre propre insu. L’écriture donne une signification à ce qui ne peut être exprimé autrement. Cette pièce sans pudeur en est un parfait exemple.