Le portrait fantasmatique de Catherine Andrieu par Jean-Paul Gavard Perret
1. Élévation
(texte inédit)
Fidèle au récit de la Genèse, Andrieu propose sa propre interprétation de la tour de Babel. Elle réussit sa métamorphose par une forme de toile monocolore bleu en damier. Si bien que "la brique" de la Genèse et "le bitume qui servit de ciment" aux bâtisseurs se transforment en couleur céleste histoire de mieux toucher le ciel. Le monde plus que jamais devient un seul peuple. Mais pour Andrieu l'histoire s'arrête là. Sans chute ni dictateur et pour une élévation. En effet les éléments à la fois épars mais joints trouvent par la couleur une unité. Dans un tel jeu de construction, la créatrice ne soustrait rien au feu des rêves pour soulever le poids du monde. Il est purifié par un ciel lustral où jusque dans la diversité tout se rassemblent sans se ressembler. Cette tour se regarde comme la lumière qui doit prendre date aux mots écrits dans la Genèse. Toutefois, ce n'est plus seulement un refuge utopique voire dangereux mais une gangue morcelée et unique qui se met à léviter contre les ombres.
2. Ma polyamoureuse
(texte inédit)
Lascive et encore ensommeillée tu imagines la vie des êtres de l’autre côté de la vitre, tandis que tu t’étires comme un chat avant de te mettre à tes exercices de sauvegarde de ton moi intérieur. Tu t’éloignes de tout sauf de ta musique. C'est à elle de te donner le goût de toi et des autres. Tu as encore la sensation du sable sous tes pieds. Tu restes mystique féline, diablesse délicieuse. D'aucuns te voudraient plus moins ainsi : pas moi et posant ma main sur tes cuisses pour les ouvrir je rêve de vivre l'instant magique qui te fais libertine avec ta sensualité irrésistible qui fait espérer l'impossible sexuel et affectif. Sois ainsi et qu'importe l'océan, les terres intérieures et tes orages. Il pleut car tu fais trembler le soleil. Comme lui je déhabille ton mystère même quand tu ris en, faisant l'amour. Quant à ceux qui t'aiment s'ils avaient pu choisir leur premier amour tous auraient commencé par toi, otage de ton oracle dont ils connaissent le coeur. En ton bief l’imaginaire abonde. Il entre en farandoles dans ce que certaines mères nomment à leurs filles marmites d’un enfer croyant ainsi éviter de troubler leur sommeil. Mais ton corps remonte dans la gorge de ceux qui sommeillent en amont. Quant à toi il est trop tard pour fuir et les mères n'y peuvent rien. Dans ton écrin, brille le pur joyau que ma langue caresse.
3. De ta fenêtre
(texte inédit)
Plaintivement lascive et encore ensommeillée tu imagines la vie des êtres de l’autre côté de la vitre, sur le quai, tandis que tu t’étires comme un chat avant de te mettre au piano. Tes mains sur le clavier tu t’éloignes de tout sauf de la musique pour ne pas t'attacher aux êtres. Tu as même blindé ta porte, barricadé en partie tes fenêtres pour ne voir que le port et ses bateaux. Depuis quelque temps tu as renoncé de manière provisoire à écrire. C'est à la musique et non à ta langue de donner le goût de l’Autre. Mais tes lecteurs relisent en tes livres leurs dérives oniriques et érotiques pour se laisser guider vers toi et ton piano qui peu à peu après Collioure a dérivé à Royan. La sensation du sable sous les pieds tu l'ignores pourtant. Et lorsque tu retombes amoureuse c’est la photographie de ton premier homme. La polyamoureuse n'aime que lui parce que tu es la mystique féline, la diablesse délicieuse. D'aucuns te voudraient plus capricieuse encore lorsque posant leur main sur tes cuisses pour les ouvrir ils rêvent de vivre l'instant magique qui te ferais libertine. A ton piano ils préfèrent la pianiste. Tu joues autant du Schubert qu'une Serenata Negra avec ta sensualité irrésistible qui fait espérer l'impossible sexuel et affectif. Sois ainsi noire sœur, douleur des hommes dont tu es la mère, l'infante et la prostituée. Qu'importe l'océan et tes orages. Mais vois une fois de plus il faut se retirer, se "tairer". Piano va, soleil tremble. Le premier habille ton mystère. A l'ombre du second tu as trouvé les mots pour le dire. Il faut que désormais tu réapprennes à rire même en, faisant l'amour. Au loin le cliquetis des mâts et la mélancolie des vagues. Quant à ceux qui t'aiment s'ils avaient pu choisir leur premier amour ils auraient commencé par toi.
4. Les secrets de Catherine Andrieu
Les entretiens de Catherine Andrieu permettent de plonger au cœur des sentiers de la création de la poétesses. Ils peuvent se lire comme les mannequins ou les
partitions de ses livres. Ils montrent comment une vie peut en contenir d'autres et comment l'écriture se met à les revivre.
La créatrice s'y montre telle qu'elle est : revenante et vivante dans un clair obscur là où sa propre histoire contient bien des coffrets à secrets. Ils se transforment dans son œuvre en contes
aussi oniriques que vrais.
La créatrice soulève le couvercle de son existence à côté de ses textes de vie, de songe. Dans les deux cas se découvre une femme complexe aussi lunaire que solaire et dont les mots simples
touchent plus que l'éloquence et ce, en des remémorations_-miroirs. Elles sont le fait de la dernière surréaliste. Donc la première.
5. Contre toute attente
(texte inédit)
Évoquant de sa réalité et de ses fantasmagories, les aveux Catherine Andrieu, oblige à pénétrer au cœur de sa création et à nous interroger à travers ses
mots de corps et par le corps de ses mots sur ce qu'ils dévoilent.
Ils dépossèdent d'un royaume que nous croyons acquis pour nous porter vers les errances, les orages d'une existence émettrice autant d'une douleur que d'un rêve immense.
Se découvre un univers féminin particulier, fourmillant. Il donne accès au questionnement sur l’intégrité et l'identité corporelle. A partir de là la création fait qu'une telle poétesse et
amoureuse blanche devient une fée. Elle corrige le mauvais sort, le rend moins définitif.
Créant de manière sensorielle et médiumnique ce qu'elle nomme une "littérature d’atmosphère" héritée entre autres de Duras, Beckett, Gide, Catherine Andrieu propose et explicite ici ses
propres nourritures terrestres et habitées. Se révèle et se relève toute une vie entre rêverie et tourment qui dans son œuvre poétique acquiert une écriture des plus originales .
Dans son aventure de chamane surréaliste, Catherine Andrieu devient créatrice de "légendes" où l'intensité de la volupté poétique a raison de la douleur.
6. La femme qui écrit
(texte inédit)
"La femme qui écrit" comme elle se définit agit avec son histoire, sa chair, ses connaissances littéraires, philosophiques, artistiques, spirituelles en restant
toujours dans l'émotion. Celle-ci trouve les mots pour se dire, des mots de magicienne où se croisent les silhouettes superposées de jumelles du passé dont les visages sont à l'origine
d'une écriture de mémoire et de futur dans un présent qu'elle creuse.
Existe chez une telle créatrice, des fantômes, des ruines auxquels ses livres redonnent vie et dont les interviews deviennent le générique. S'apprend aussi comment se crée une écriture qui nous
fascine e et foudroie là où d'une certaine manière l'auteure se délivre de l'enfant qu'elle fut et de celle qu'elle devint pour recréer son poème au-delà de la cage dorée ou infernal du
temps passé, Le tout dans une langue qu'elle nomme "paternelle" pour mieux préciser ce qu'elle produit plus que ce qu'elle reçoit. Et ce dans une vision cosmique. Mais cela n'empêche pas la
présence des spectres comme chez Ingmar Bergmann.
Créant de manière sensorielle et médiumnique ce qu'elle nomme une "littérature d’atmosphère" héritée entre autres de Duras, Beckett, Gide, Catherine Andrieu propose et explicite ici ses propres
nourritures terrestres et habitées. Se relève et se relève toute une vie entre rêverie et tourment qui dans son œuvre poétique acquiert une écriture originale.
Si l'auteure donne dans cet ensemble d'entretiens la part belle à ses textes de prose "Des nouvelles du Minotaure ?", il ne faut en rien oublier ses textes de poésie "pure" nourris du réel et
d'aspirations oniriques en des surrections urticantes dans ce qui tient, parfois de la souffrance de la disparition, parfois de l'éros et d'un rêve adamique.
Tout chez elle semble l'histoire et l'image d'une vie troublée par d'autres et d'un rêve d'une femme dans lequel elle serait entrée en effraction pour provoquer les confidences puis écrire les
réalités et les songes comme on s'enroule dans les draps d'un lit défait. Existe pour le lecteur ou la lectrice un plaisir intense de telles offrandes poétiques dont il ou elle trouvera ici des
clés. Rien de s'y limite à la froide intelligence ou la seule intention : l'émotion garde ses droits, se venge des accidents de la vie, les rameute au besoin car il ne s'agit pas d'endormir la
mémoire mais de la transcender en une magie verbale capable de rejouer ses scènes avec corps et âme.
D'où un mariage arrangé mais aussi une autre façon de recréer une rencontre d'amour là où la poésie "obscurcit" la vérité déchirante mais pour l'éclairer et la déchiffrer au-delà des apparences.
Dans son aventure de la chamane surréaliste, Catherine Andrieu devient créatrice de "légendes" où l'intensité de la volupté poétique a raison de la douleur. Comme l'ortie celle-ci est
caressée à l'envers en l'effleurant, de bas en haut comme on remonte en rêve le long d'un corps ou comme une femme pieds nus sur une plage soulève le bord de sa robe pour sentir les langues
mortes de la marée océane. Sans doute avant d'écrire des poèmes qui sont autant d'ajours. Ils laissent sa place à l'oubli, une place qui n'est plus vacante.