Nouvelles lunes précédé de Chaosmose

 

 Second recueil paru aux Editions du Petit Pavé en 2014

 

(Lecture par Daniel Brochard)

 

 

Première partie : Chaosmose

 

Tout comme dans Un amour, le bord d’un canal, l’élément principal est l’eau. L’eau qui engloutit, qui ressuscite, double face du miroir qui sert à vivre. Zaha, « à la fois femme vivante et femme noyée qui ressurgit du passé », semble revenir d’un autre monde. Zaha dit « qu’elle est morte aux autres, au genre humain ». Dans ses nombreuses métamorphoses, Zaha-le-Corbeau est mystérieuse, se mêle aux étoiles, à l’univers. Zaha est « un peu étrange, effrayante parfois » et se réfugie dans le merveilleux : « Je te veux de tes neuf réincarnations auprès de moi, car la sorcière noire à besoin du vampire aux yeux maquillés. » Jacques Hold, « échappé d’un roman de Marguerite Duras » est « l’homme trou, l’homme rien, (…) ce que Lol.V. Stein cherchait : Dieu. » Zaha qui comptait se réfugier dans la légende du roi Arthur subit le même sort : «Une force étrange l’attire vers l’obscurité profonde où elle sent palpiter les forces de l’univers. » Rien ne subsiste dans ce monde. Toutes les identités se transforment, comme autant d’étoiles filantes. Car Zaha devient Christ, « tend les bras vers le ciel puis s’écroule terrassée par ses visions. » Zaha ne sait plus à quel Saint se vouer : « On cherchera longtemps Zaha parmi les arbres noirs. » C’est dans les étoiles que Zaha se sent à sa place, reprenant « le cycle éternel des années de la naissance à la mort, du néant à la résurrection.» Tout finit, tout se transforme. C’est à ce prix que vivre redevient acceptable. Ainsi s’en va « le nénuphar dansant » sur « les eaux de la rivière. »

 

 

Deuxième partie : Nouvelles lunes

 

I. La légende

 

Cet ensemble de poèmes se situe entre le rêve et la magie noire. On sait que les rêves nous plongent dans des aventures ; ici c’est de la légende arthurienne dont il est question. Le texte reprend les personnages de Morgane, Lancelot, Guenièvre… Les incantations, les visions sont nombreuses. Peut-être est-ce pour éviter l’épreuve de la putréfaction que l’auteur s’en remet à la magie et aux astres pour nous conter le monde onirique dont il est question ici : « Ce rayon de lune s’est-il subrepticement glissé dans son sang ? » N’est-ce pas pour échapper aux cauchemars que se plonger dans cette autre réalité ? Si les images sanglantes sont toujours présentes : « Un chien éventré hurle à la mort », c’est toujours le mystère de la lune changeante qui apaise les tensions. Comme dans le rêve, rien n’est toujours bien ou mal, agréable ou douloureux… Le rêve est un espace où il fait bon se réfugier… Tant que cela est possible ! Car quand le suicide d’une amie vient ternir le rêve et le réel, quand Isabelle devient Isabelle-le-Corbeau et déploie ses ailes, nul refuge n’est possible. Ce n’est que l’écriture comme relecture du rêve, la « nouvelle lune » qui permet d’exorciser le drame bien réel. Boire la coupe, c’est signer un pacte avec la mort. Le Graal, c’est le poème, l’acceptation que les choses soient, qu’elles évoluent, entre le réel et l’imaginaire. C’est l’acception de la fin et du recommencement.

 

II. D’ailleurs et d’aujourd’hui

 

Quand le poète cherche sa voie, il en vient à contempler son univers mental et son environnement. Ici, on oscille entre Paris et l’océan, entre le soleil couchant et l’hôpital psychiatrique, entre la mort et la réincarnation. Le poète qui souhaite aller au plus près des choses, affirme : «  Qui n’a jamais Vu le soleil ne saurait poser son œil définitif sur le monde des ombres. » C’est en effet grâce à ce « don de double vue », tourné vers soi et au-delà de soi, que le voyant est à même de discerner l’essence-même des choses. Dès lors, la réalité est à la fois humaine et naturelle, ici et ailleurs, elle est le grand Tout, l’infiniment petit. Le poète lutte pour ne pas sombrer, se souvient souvent de l’hôpital psychiatrique : « Et ce sont les longs couloirs blancs et les trousseaux de clés. / Les cachets que j’absorbe. » L’avortement, le viol, la nécrophilie… Le corps de la femme est violemment mis à mal. Ce n’est que pour mieux souligner sa destinée de sang ! « J’étais un cadavre, et tu enfonçais encore ton œil », est-il dit dans Charogne. Comment briser le quotidien des « palpations » et des « électrochocs », des « questions sans réponses » et de « l’Haldol » ? Comment ne pas sombrer dans cet  « ailleurs » qui nous attire à lui à chaque instant ? Ne serait-ce pas encore en l’évoquant dans l’écriture ? En souhaitant aussi revenir dans un « aujourd’hui » réconfortant ? Jour après jour, il faut combattre la peine, la souffrance, la maladie. Il faut une lueur issue des « fentes métalliques que la lune explose », des yeux d’un chat, pour retrouver le goût de vivre. Ainsi le poète a « signé un pacte » satanique - « Et je lèche le sang séché sur tes lèvres » - avec son compagnon. Face à la cruauté, à la lâcheté des hommes, le refuge qu’est ce petit animal devient un des seuls à agrémenter la journée. Quand paris devient « vénéneuse, noire noire si noire qu’elle tourne au vert d’absinthe », quand l’Ourcq se trouve « zigzagué du bleu sang des cadavres qu’il inonde », rien ne parvient plus à consoler le poète, qui en appelle à l’ « alcool », un breuvage en mesure de faire oublier le malheur. «Peut-on être possédé par un esprit qui n’a jamais existé ? » La condition humaine n’est-elle pas raccordée à une mélodie secrète et dangereuse ? Ce qui est identifié, assimilé, peut se combattre. La poésie est une arme. Cette lutte incessante propre à certains être sensibles, semble ne plus avoir de fin : « J’ai bu tous les poisons » affirme le poète dans un élan rimbaldien, et aussi : « J’ai bu le poison (…) / A même tes poignets tranchés », et encore : « J’essuie l’écume et le sang. » Ce qui console, ce qui guérit est un combat qui passe par l’écriture, quand celle-ci est possible. « L’idée vient que la mer bouge à la place de quelque chose d’autre » : l’écriture remplit une fonction bien particulière, elle est la vie-même, elle se charge de l’alpha et de l’oméga. Vouloir vivre, c’est accepter de ne plus écrire, d’avoir tout écrit. Qu’est-ce qui peut sauver alors, si l’écriture elle-même est un leurre ? « D’abord elle ne ressentit rien sinon une impression de vide », puis «elle vit en une seule et fulgurante image / (…) La mort » C’est dans le trépas que la vie trouve son sens : l’écriture est une clef pour ouvrir la porte de l’au-delà. Ensuite, c’est la vie, la survivance, que l’on doit le plus désirer. D’ailleurs et d’aujourd’hui nous propose à la fois une philosophie et une conception incandescente et poignante de la condition humaine. Ce n’est pas une vision morbide de la réalité, mais un appel à plus de vie. Certains dénigreront la violence du texte et ne comprendront pas la démarche poétique de l’auteur. C’est qu’ils auront mal lu l’œuvre de Catherine Andrieu.