Critique de
André Ughetto
Avez-vous pris Des Nouvelles de Léda?, ce que je vous conseille vivement de faire, car sous ce titre, affecté d’un point d’interrogation, Catherine Andrieu publie chez Rafael de Surtis un livre-somme de plusieurs de ses ouvrages antérieurs. On y trouve, dans l’ordre, Parce que j’ai peint mes vitres en noir, ensuite Piano sur l’eau, Refuge, journal de l’oubli, Amours & Jeux d’ombre, Le Cliquetis des mâts, puis un premier inédit : Le portrait fantasmatique d’Anora Borra, peintre aux œuvres monumentales, profondes, érotiques, précédant Les vies antérieure et intérieure de Catherine Andrieu, sous la forme de cinq entretiens échelonnés dans le temps, et enfin un deuxième inédit, Des jours et des nuits, post-scriptum en forme de Cygne. Essentiellement poète, en vers libres comme en prose, mais également musicienne, Catherine Andrieu raconte sa vie et ses obsessions maladives, dans un foisonnement et renouvellement stylistique remarquable. C’est dire qu’on ne s’ennuie jamais à la découverte des méandres de sa pensée émotive. Formidable auteur : on la reconnaît toujours, elle ne se répète jamais. Au départ du Portrait fantasmatique d’Anora Borra, elle avertit : « L’œil de l’enfant curieux est dans la serrure, / le génie ne quitte jamais / le manteau de l’enfance. » Ce qu’elle apprécie chez ce peintre est une sorte d’équanimité : « Tu peins les vulves ouvertes comme tu peins / les visages, sans jugement ». Aussi l’érotisme annoncé dans le titre n’est que « pure interprétation », ce qui vaudrait aussi pour toutes les confidences de Catherine évoquant ses émois sensuels. Des jours et des lunes, enfin, traduit une manière d’apaisement métaphysique, sensible dès le premier texte (« L’éclat du Chat de Feu ») : « J’ai vu la lune baigner la mer, ses reflets argentés caressant les vagues. Alors, je suis remontée à la source, assoiffée d’étoiles. »
« Phoenix » n°41, Grappillages. Automne 24
Catherine Andrieu, Des nouvelles de Léda ?, Rafael de Surtis, 273 p., 25 €, ISBN 9782846725866
Je louais dans le « Phoenix » précédent (n°41, Gilles Baudry) l’invention des formes et les audaces de Catherine Andrieu nous adressant Des nouvelles de Léda ? (éd. Rafael de Surtis). Puis des Constellations critiques, lectures poétiques de Z4 Editions. J’ai presque envie de dire que commençait alors son cycle des métamorphoses aujourd’hui confirmé par « Je suis l’oiseau du vent » (Z4 éditions) justement, et encore plus par Ce qui pousse dans le silence, de nouveau chez Rafael de Surtis. Dans une première partie de ce deuxième ouvrage est célébrée la communion avec la nature en compagnie d’un chat, puis ce sont des alliances successives avec des plantes, avec des arbres, avec la mer, avec beaucoup d’êtres et de choses qui ne restent pas « inanimées ». Encore plus grandiose est la deuxième partie, lorsque le Corps devient Arbre, se couche sur la Pierre- Amante, traverse le Feu transfigurant, devient une Bête, un Corps-Fontaine etc. Voilà un itinéraire symbolique, une progressive transmutation qui justifie pleinement le titre d’un petit récit antérieur, L’Initiation, chez le même éditeur. « Tu es devenue la chambre / la crypte, / le ventre géologique / d’un possible qui te dépasse », constatait Catherine Andrieu au chant VI de « Ce feu qui s’écrit dans le corps », et « pousse » aussi « dans le silence »…