Critique de
Claude Vercey
De sa poésie, Catherine Andrieu écrit : Bien qu‘il y ait souvent une ouverture spirituelle dans mes livres, je reste et veux rester sur un registre émotionnel, parce que je pense que c’est là la note que j’ai à jouer dans l’univers, si chacun en a une. Il est pour nous, en ce moment de découverte, trop tôt pour en juger. Lisons, le temps du commentaire viendra plus tard.
A noter que l’activité d’écriture se double d’un travail (mot qu’elle même a choisi) pictural, dont les amateurs de poésie ont eu un aperçu à réception du n° 75 de Comme en poésie, dont la couverture reproduit un autoportrait de l’auteure.
Extraits de Parce que j’ai peint mes vitres en noir :
1.Nous avons l’habitude des mouettes et de la Tramontane
Nous, enfants hâlés aux grands yeux d’été
Le jaune paille est dans la garrigue partout
Où l’on marche avec des bottes en caoutchouc
Prenant garde aux vipères, pensant au Petit Prince,
A leurs morsures délicieuses dernier paysage de mer
L’immensité partout et le ciel et les vagues
Dans le sel et le sable embruns écume galets
L’eau a envahi la Maison-Bateau qui s’efface et disparaît.
Paris, ma belle, où je vis en exil, écoute-moi écoute
Ma complainte marine, c’est mon Espagne sale
Qui coule dans mes veines. Et je pleure sur mes origines.
Paris, ma si belle, il ne me reste que la mémoire floue
De Collioure.4. Je voudrais me blottir contre toi
Tous deux enveloppés dans ton pyjama bleu
Tu me ferais penser encore aux nuits magiques
Quand ma grand-mère dormait avec moi
Au bruit des vagues se fracassant contre les vitres
Y ajoutant ton ronflement puis le mien
Ça me rendait amoureuse.
Tu es devenu doux et je ne veux plus
Jamais te rendre jaloux, parce que de la tendresse
Il y en avait beaucoup aussi.
Quand je te regarde aujourd’hui tu me plais
Mais tu as plus de trente ans de plus que moi
Mignonne allons voir si la rose j’ai vingt-six ans
Mon vieux Corneille et je t’emmerde en attendant
Chantait Brassens dans cette langue qui n’est pas celle de ta mère
Et que tu maîtrises avec un tel génie ce qui te rend si désirable
A mes oreilles s’il est vrai que mon corps n’appartient à personne
Je te le retire, jouissances fulgurantes et mécaniques
Tu m’émeus infiniment et je t’aime à jamais
Cela sonne comme un very bad end.
CLAUDE VERCEY
Retrouvez l'article sur le site de la revue Décharge ( 6 Mars 2020 ) :
https://www.dechargelarevue.com/Voix-nouvelle-Catherine-Andrieu.html
Catherine Andrieu, À la marge
À la marge, titre le livre le plus récent de Catherine Andrieu, aux éditions Unicité. Je ne doute pas qu’elle exprime ainsi son sentiment d’être - par rapport à la société, par rapport à la création poétique d’aujourd’hui. Mais on notera par paradoxe l’intense activité éditoriale dont la soi-disant marginale fait preuve, activité qui va croissant, me semble-t-il, puisqu’à cette date, fin août 2025, je compte pas moins de 11 livres et plaquettes parus cette année sous son nom : dans le champ poétique actuel, Catherine Audrieu est d’abord une présence.
Et il se trouve que la poésie proposée dans À la marge est, selon mon jugement, à ce jour la plus dense que j’aie pu lire de cette graphomane avérée, d’une intensité qui demeure constante tout au
long du recueil. Son expression est abrupte, paroxysmique, me ramène à cette poésie frénétique que je relevais aux premiers temps de Décharge et de Polder et dont l’ambition est de rivaliser avec
le cri. Tout début de poème chez Catherine Andrieu est une attaque, tutti, fortissimo - orgues pleins jeux d’emblée, pleins feux sur la scène :
Le vent mord la chair du jour
une faille s’ouvre sur l’horizon docile,
le monde vacille, repousse ses limites.
Ces trois vers ouvrent le premier poème du recueil qui en compte 17, tous assez longs. Attaque, ai-je dit, jamais ce mot ne m’a paru plus exact. Et celle-ci n’est pas une exception. Les murs
saignent de leur propre blancheur / égratignés par mes ongles, ouvre le poème III et le IV :
Les portes vomissent leurs gonds
mâchoires rouillées qui broient des âmes.
Les couloirs sont des nerfs à vifs
des tunnels sans fin où l’écho
s’ouvre le ventre et hurle son propre nom.
Il existe malgré tout une variante, tout aussi expressionniste au demeurant, à ces brutales ouvertures : il s’agit alors du surgissement d’une foule, de femmes la plupart de temps, d’une horde,
fuyant on ne sait quelle catastrophe, marchant depuis des millénaires ici, là fuyant. Une ville en flamme, un village éventré, le cri d’une mère sous un ciel troué. Ces exodes de cauchemar ne
sont pas seulement de mauvais rêves, mais s’accrochent de loin en loin à des réalités, certes juste esquissées : les valises claquées en hâte, pleines de presque rien, renvoie à la fuite
d’Algérie ; le poème suivant (XIV) nous amène aux abords de Kharkiv. En général cependant, le tumulte, ces désordres, sont surtout des désastres intérieurs, qu’explique certainement la biographie
de l’écrivaine, ce drame auquel elle se réfère, mais nous nous en tiendrons quant à nous à l’écriture de cette écorchée vive, la citant pour clore cette chronique dans ce qui constitue le dernier
poème du recueil.
Je suis un corps propulsé, une trainée d’éclats,
le sol tremble sous mes pas mais je n’ai plus de poids.
J’arrache l’espace, je fracasse l’horizon,
trop vive, trop brûlante, trop affamée pour m’arrêter.
J’ai l’urgence trouée dans l’os,
chaque battement cogne comme une détonation,
et je refuse d’attendre.
Chaque seconde est une brèche,
chaque instant un combat
contre l’engloutissement.
Catherine Andrieu, À la marge, éditions Unicité, 2025.