Critique de
Patrick Cintas
Constellations critiques
Lectures poétiques des livres de Z4 Éditions
Catherine Andrieu
Z4 éditions, 2025
« Il y a des livres que l’on n’écrit pas. On les écoute. On les suit dans le noir, comme on suivrait le fil d’une étoile tombée. Ce recueil est né de cette
écoute-là. D’un pas mis en retrait, d’une respiration offerte à l’intensité des autres. Je n’ai pas voulu faire critique. Ni rendre compte. J’ai cherché à rejoindre. Rejoindre ce qui, dans chaque
œuvre, résiste au commentaire. Rejoindre ce noyau incandescent où le verbe devient geste d’âme, où la parole s’ouvre comme une faille féconde dans l’opacité du monde. »
On ne peut pas mieux dire. Ni écrire. Patrick Lalande (chaîne Youtube Caméra obscura) a bien senti que ces « chroniques » n’étaient en rien celles d’une praticienne de la critique littéraire. Il
en a perçu la poésie, d’emblée. Et pas seulement au rythme que le texte impose à sa voix. Le contenu même, comme autant de découvertes, lui a aussi inspiré des modulations qui, n’en doutons pas,
n’appartiennent qu’à la poésie.
Tout a commencé, en tout cas de mon point de vue, par les commentaires que Catherine Andrieu a entrepris d’ajouter au Forum de la RALM. Avec quelle ampleur et quelle virtuosité ! Et toujours
quelle pertinence ! Pas une semaine de publication n’a été épargnée par ces interprétations si justes et si prometteuses que les auteurs concernés se sont mis à les attendre, toujours surpris par
leur apparition, non pas pour cause d’attente donc, mais par l’entreprise poétique, à la fois critique et nourrie de rythmes sans doute nouveaux, que Catherine Andrieu a décerné au texte tombé,
peut-être pas par hasard, sous ses yeux ou dans je ne sais quel enclos qui lui appartient et qu’elle ne dédaigne pas de prêter à qui se laisse lire.
Mais ce nouvel acte poétique n’a pas éberlué que les auteurs concernés ; il a aussi attiré l’attention de l’éditeur, en l’occurrence Z4, qui vient de nous offrir, comme un témoignage de sa propre
intelligence des lieux, un premier recueil de « lectures poétiques », en une ou plusieurs constellations car celle-ci est un premier tome, le second étant actuellement sur la planche.
Certes les ouvrages concernés par ce voyage interstellaire sont issus du catalogue de Z4. Limitation qu’on regrettera peut-être. Mais qu’on se rassure : Catherine Andrieu ne sera pas transformée
en DRH du service de Presse de cette soucieuse maison. Elle demeurera (je commence à la connaître) fidèle à son cheminement qui ne date pas d’aujourd’hui, temps à relativiser toutefois car
l’avenir lui appartient encore. L’œuvre, quelquefois signalée par quelques connaisseurs de l’enjeu moderne, avance en terrain inconnu mais parfaitement ouvert, comme il sied, je crois, aux
existences battues à mort par les embruns du langage et l’écho de ses récifs granitiques.
Patrick Cintas
https://www.lechasseurabstrait.com/revue/spip.php?article22512=
Des nouvelles de Léda ?
Catherine Andrieu
Éditions Rafael de Surtis, 2024
Ce qu’on devient et ce qu’on ne devient pas. Après avoir été. Est-ce ainsi qu’on « survit à l’enfance » ? La poète demande pourquoi. Pourquoi « les autres m’ont
violée alors que je voulais qu’ils m’aiment ? » Enfin jusqu’où la vie explique l’existence ?
Ce fort volume est composé sans préméditation. En effet il étage l’un après l’autre les recueils qui se sont succédés, sans toutefois nous informer sur les dates qui bornent ce temps passé aussi
à écrire. Sauf que ces recueils ne recueillent rien ; ils n’affichent pas ; au contraire ils composent et par conséquent chacun de ces titres représente l’aventure d’un poème. Ainsi va ce lyrisme
vadrouillant dans les sentiers qui traversent la chanson et la pratique du journal ou de la lettre. La langue connaît ces limites. Elle parle, explique mais en parlant, toujours en face de
l’interlocuteur supposé lecteur. C’est une proposition d’engagement total sinon rien. Et comme c’est écrit pour être aussi bien senti que compris, ça chante.
Le côté épique du livre n’en est pas moins fourni. Et d’égale longueur. S’agit-il de priver le lecteur de toute propension à l’identification ? Comme si moi je suis moi ? Le contraindre à revoir
la leçon dispensée par son expérience du voisinage et des plaisirs ? Pourquoi pas si au fond l’interprétation du texte passe par sa compréhension. Quoique la tentation d’applaudir soit forte. Et
bien que le je poétique n’invite pas les miroirs de l’appartement, mais les feuilles devant soi qui ressemblent tellement à des feuilles, si on y songe —expérience de la forêt exigée. Et de
l’automne aux lourds tombeaux.
Les préfaces d’abord, toutes signées de connaissances et connaisseurs, jouent leur rôle de narratrices issues des coulisses de ce théâtre de l’égo —entre la méditerranée et l’océan, via Paris et
autres forêts encore. Puis s’implique l’entretien, avec la poète elle-même, qui ne manque pas de faciliter la lecture du texte poétique, sans toutefois lui tordre les poignets, l’invitant à
prendre le temps, peut-être tranquillement mais sans perdre de vue la tragédie en jeu ici.
Quoiqu’il s’agisse aussi bien d’une comédie. Si jamais ce chemin (caminante no hay camino, dit le poète, mais bon, pour une fois…) mène quelque part, « entre le monde terrestre et le sacré. » Car
après tout Catherine Andrieu n’a pas encore atteint l’âge canonique qui retrouve l’enfance. Quel chemin, depuis ces « vitres peintes en noir » !
Évidemment, ce livre ne se résume pas à son chant, parfaitement audible et agréable à l’oreille, ni à ses philosophies brouillées par les questions elle-mêmes hypothétiques. Moins encore à ses
nécessaires narrations, rapportées en préfaces ou projetées en paroles d’auteur qui ne s’envolent jamais trop loin de l’esprit, le mien, le vôtre, comme si la poète nous retenait, non point par
le colbac, mais simplement par l’authenticité des sentiments et des idées, noires si possible, qui nous dépossèdent sans doute de nos parades habituelles.
Le texte lui-même accepte de déborder hors de son vase littéraire. L’autobiographie de cette « petite schizophrène » n’envahit toutefois pas la poésie au point d’en affecter les transparences
d’ombres et de douleurs. « Le rêve est un jambon pendu au plafond, » dit le poète adjacent. Ici, cette chair travaillée à l’air libre de vents et de marées voit dans la mire une « osmose
ataraxique » qui n’a pas lieu entre humains, ou pas comme on veut aimer, mais que la vie même semble promettre, si l’on veut bien prendre le temps de regarder où c’est encore possible, par
exemple dans les yeux d’un chat. Fixement, au fil peut-être d’une pararanoïaque-critique retrouvée, faute de temps et d’enfant.
Une pareille profondeur de méditation et de connaissance mérite en effet d’être réunie, et réunie sans cesse, jusqu’à la fin, entre la société des hommes et leur mort, terrible attente peut-être,
mais formidable puissance de la lumière sur soi. Beau et inséparable bouquin, je vous le dis !
Patrick Cintas
https://www.lechasseurabstrait.com/revue/spip.php?article22512=