Critique de
Yolaine Blanchard

 

Le Royaume sans murailles 

Suivi de « L’aurore intranquille »

Elle vient de publier ce nouveau recueil illustré par elle-même, étant à la fois peintre, poète et plasticienne, aux éditions « Rafael de Surtis » (Poésie et surréalisme). Sur la couverture apparaît en clair-obscur une silhouette de jeune fille aux longs cheveux blonds bouclés, assise au pied d’un arbre dont l’on perçoit quelques racines, cette « enfant mystique », aux mains délicates posées sur ses genoux, celle qui habite la nuit sous la voûte sacrée des arbres où brillent quelques lucioles à peine perceptibles, comme une projection d’elle-même, vêtue d’une tunique plissée vert-bronze nouée à la taille, à la façon des peintres de la Renaissance, au visage d’ange ou de madone exprimant la beauté pure et douce, dont le regard invite le lecteur à s’asseoir en face d’elle pour lui offrir son récit poétique entre « souffle et murmure ». Son « Avant-dire » fait référence à « l’ivresse des vertiges », en citant Henri Michaux (l’auteur de « Qui je fus ») : « À travers moi, l’air passe », source de son inspiration. À la suite de « L’oiseau du vent » dont le thème était déjà présent : « ce battement d’aile entre deux silences », cette « lumière en partage » qui s’éprouve, se traverse, dans un monde qui s’éteint pour mieux renaître, comme en osmose avec le recueil d’Éric Chassefière « Pour que parle la beauté » quand le poète s’efface pour mieux « entendre la présence pure », ce « viatique qui permet encore de s’émerveiller », afin de « creuser encore et encore cette respiration essentielle / ce feu qui la traverse » dans un jeu d’opposition  et de négation : « Je ne suis pas, je suis… / Ce n’est pas, ce n’est plus, c’est… », permettant de s’approcher au plus juste de son ressenti, dans un univers inversé où « le sol se souvenait qu’il avait été ciel », prêt à accueillir « l’éraflure du silence, le souffle du sensible » et cette conscience reçue de tous les éléments de la nature, l’air, l’eau, le feu, du minéral au végétal, de l’être humain à l’animal, «  ce pouls immense qui pulse dans les creux du langage et fait remonter à la surface des silences, les grandes migrations de l’âme », en prenant le temps de se poser avec lenteur, avec tendresse et sans jugement dans sa quête d’absolu aux révélations mystérieuses où chacun est en proie «  au couteau du temps », permettant de suivre celle qui ouvre « le passage secret où même les dieux déposent les armes ». Une tempête de mots récurrents nous entraîne dans le vertige de leur danse où palpite la mémoire, dans un style percutant aux oxymores incandescents passant du « rien » au « tout », en jouant sur les correspondances symboliques. L’auteure perçoit « les voyages immobiles de la lumière et son ombre qui danse, comme le fait l’indicible quand frissonne le désir d’un temps suspendu », en offrant « son sang, sa sève, son encre. » La préposition privative « sans », présente dès le titre reflète avec insistance l’absence, l’exclusion : son « Royaume » est sans limites, sans bord, sans porte, sans sommeil, sans nom, sans cendre, sans douleur, sans bruit, sans promesse, sans volonté d’absoudre, sans jamais s’incliner, sans rive à atteindre, ni époque, ni demeure fixe…, afin de retrouver « le goût du premier pas / quand tout peut renaître aux secrets de la lumière ». Son paysage est mouvant, entre « Ici » et « Là », où « bat le pouls de son âme à vif ». Elle éprouve une tendresse infinie pour tout ce qui se défait et qu’elle laisse partir… quand « glissent les doigts du vent dans la serrure de l’invisible…/ où l’absence devient présence / quand se perdre / c’est renaître et parvenir au plus grand don, n’être plus que seuil où l’amour se risque, où prier sans prière… ».
 
Elle ne craint pas la mise à nu de ses fêlures et chaque poème naît de l’accouchement d’une gestation au sein de sa matrice créative comme une offrande qui « demande à être semée / ce qui reste quand tout s’efface… ». Elle rend hommage à certains auteurs marquants qu’elle a pu rencontrer en les honorant d’une dédicace, avec celle plus particulière adressée à Jean Hourlier dont la critique de « trop écrire » a pu la blesser ; elle justifie sa boulimie d’écriture comme « une marée montante d’une faim sous la peau », ce trop d’amour qui se donne au lecteur dans une confidence bouleversante « de n’être qu’une plaie ouverte qui écrit pour ne pas mourir ! », un véritable plaidoyer « pour rester farouchement fidèle à elle-même » dans sa quête de « n’être plus qu’un fil d’un corps semence / qui danse entre deux souffles / et se consume », mais en restant soucieuse d’écrire une ligne de « résistance », de pouvoir réparer un peu du monde en détresse face à la guerre et l’oppression, quand « chaque regard levé est une révolution ». De même pour le magnifique poème dédié à « Moon », la transcription à la fois du mot « lune » emblématique et le tendre diminutif de « maman », cette mère « haïe de trop d’amour », symbolisant à la fois à travers cette hyperbole vouée à l’immortaliser : « Sa guerre sainte / Son feu sacré / Sa blessure fertile…/ Cette flamme en moi qui ne cesse jamais de brûler ».

Sa plume magicienne, émouvante, douée de tous les talents et d’une densité expressive intense, ses métaphores inventives à l’écoute de « l’unique chant du monde », composent une œuvre éblouissante qui conjugue au sommet cet « art lyrique » défini par Gérard Mottet dans sa chronique, cette litanie « aux échos répétés à l’infini », d’un cœur battant allant jusqu’à la dimension christique de la « transfiguration » et ponctuée d’un « Épilogue » : « Là où le monde respire à peine, ce lieu où « Rien n’y commence / rien ne s’y achève… », où s’effeuille la marguerite au-delà de la passion, à la  « folie »… ! La dernière page se referme sur le tableau apaisant de la même jeune femme nous ayant accueillis, à la tunique au ton  devenu émeraude, éclairée par l’éclat de la lune qui la traverse de sa puissance symbolique, cette fois les yeux fermés pour mieux se recueillir, en position de lotus, comme en prière et veillant sur les ombres chères qui l’entourent, dissimulées dans l’obscurité, mais présentes, un jeune cerf à sa gauche, une chouette à sa droite et deux silhouettes de chats noirs à ses pieds, ses chats mystiques Paname et Lune qui l’accompagnent toujours…

En vous souhaitant bonne lecture et en vous invitant à découvrir son « Espace poétique » sur le site de la R.A.L.’M. (Revue d’Art et de Littérature, Musique).

Yolaine BLANCHARD
yolaine.blanchard21@gmail.com
à paraître dans Florilège 201

 

 

Catherine Andrieu, Le Royaume sans murailles, Éditions Rafael de Surtis, 2025.
www.rafaeldesurtis.fr