Poème
John Forbes Nash, le chant des équations blessées
Avant-dire de l’auteure
Il est des hommes que la raison ne suffit pas à saisir.
Des hommes qui, au lieu d’emprunter les routes balisées du savoir, avancent à flanc d’abîme, dans les craquelures de l’intelligible. John Forbes Nash fut de ceux-là.
On dira : mathématicien, prix Nobel, schizophrène.
Mais ces mots sont trop nets, trop dociles. Ils ne racontent rien du tremblement d’un esprit qui, chaque jour, dut réconcilier l’absolu de la pensée avec le vacarme d’un monde désaccordé.
Car John Forbes Nash n’a pas combattu la folie.
Il a appris à penser avec elle.
À faire de cette cohabitation douloureuse un lieu de vérité — instable, mais fécond.
Dans ce recueil, il n’est pas question de biographie, mais de poésie incarnée. Non un hommage figé, mais un déplacement. Il s’agit de faire entendre, dans la tension d’un vers, dans la structure
flottante d’un paragraphe, la musique paradoxale d’un homme dont la vie fut équation impossible.
Nash écrivait sur des tableaux noirs comme d’autres tracent des prières.
Ses formules n’étaient pas des conquêtes, mais des tentatives — des gestes pour tenir debout. Dans la lumière dure de Princeton, dans le silence des hôpitaux, dans les chambres traversées de
voix, il a continué à chercher. Non un résultat, mais un équilibre. Une paix fine, suspendue, entre ce qui est et ce qui brûle de devenir.
Son œuvre, on l’a enfermée dans les manuels d’économie.
Mais elle déborde : elle parle aux poètes, aux rêveurs, aux inadaptés, à ceux qui ne savent pas être tout à fait là. À ceux pour qui penser est une manière de survivre sans renoncer à
l’invisible.
John Forbes Nash n’a jamais vraiment appartenu au monde.
Il a marché à ses lisières, traçant des cercles qu’on croyait délire, mais qui étaient peut-être des constellations.
Et s’il fallait une leçon de ce destin-là, elle tiendrait peut-être en ceci : que la pensée la plus exacte peut jaillir d’une faille ; que la clarté naît parfois d’un regard de biais ; que le
génie n’est pas dans la victoire, mais dans le lien secret entre la blessure et la lumière.
C’est là, dans cet interstice entre la mathématique et le murmure, que ce livre se tient.
Et dans cette voix — ni scientifique, ni littéraire, mais profondément humaine — qui continue de résonner chaque fois qu’un esprit, face au chaos, ose encore chercher un sens.
Catherine Andrieu, John Forbes Nash, le chant des équations blessées, Z4 Editions, 2025.
Se procurer le livre auprès de l'éditeur Z4 Editions.
Lectures de Patrick Lalande :
https://www.youtube.com/shorts/Q-ffqnezZAU
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