Poème
Le Royaume sans murailles
Avant-dire :
Il est des livres qu’on ne décide pas d’écrire. Ils se lèvent d’eux-mêmes comme un vent d’équinoxe, soulèvent la jupe du monde et révèlent, dans le frisson des instants, la nudité la plus vaste
de l’être. Ce livre est de ceux-là. Un livre-frontière, un livre-seuil. Ni tout à fait poème, ni pleinement récit, mais battement. Un pouls immense qui pulse dans les creux du langage et fait
remonter, à la surface des silences, les grandes migrations de l’âme.
« Je t’apprendrai à dénouer les lacets de l’éternité… », souffle-t-il dès l’entrée, et déjà tout vacille. Ce n’est plus une voix qui parle, mais un déluge de lumière et de vertige. Les mots n’y
cherchent pas à nommer l’indicible, ils le laissent danser.
Ici, le paysage est mouvant : jungle et désert, mer et mangrove, cathédrale d’ombres et clairière de lumière. Le livre s’ouvre comme un grand drap de brume sur les cimes du monde et se referme
dans l’échancrure d’un souffle, « là où même les dieux déposent leurs armes ». L’invisible y est palpable, le visible, une illusion. On y entre pieds nus, l’âme à vif, et l’on en ressort avec des
racines à la place des chevilles, des ailes sous la peau, et des moineaux de silence nichés dans les paumes ouvertes.
Il faudrait peut-être lire cela à hauteur de tempête, dans l’ivresse des vertiges et la douceur inouïe des seuils franchis sans bruit. Comme l’écrivait Henri Michaux :
« Je suis né troué. À travers moi, l’air passe. »
Oui, ces pages sont traversées. Traversées de grands vents, de fêlures souveraines, de cette lumière qui saigne encore au couteau des aurores. Et s’il y a un miracle, c’est sans doute celui-ci :
entendre, dans le fracas des éléments et la délicatesse d’un cil qui bat, l’unique chant du monde.
Alors, lecteur, déchausse-toi.
Tu entres ici dans un royaume sans murailles,
où l’amour, immense et sans limites,
pose sur chaque chose
la main légère des commencements.
Catherine Andrieu, Le Royaume sans murailles, Éditions Rafael de Surtis, 2025.
www.rafaeldesurtis.fr
Le recueil Le Royaume sans murailles forme un diptyque avec Ce qui pousse dans le silence.
Lecture de Patrick Lalande