Poème

Incendies ailés

 

 

Extrait

 

Mon enfance à Collioure,
éclair fulgurant d’ocre et de bleu,
un élan d’étoiles qui s’effondre
dans le fracas des vagues contre les fenêtres.
La Méditerranée coulait dans mon sang,
brûlante, implacable,
comme un soleil ivre
qui peignait les ruelles étroites
d’ombres déchirées.

Je me souviens de mon oiseau apprivoisé,
petit fauve ailé,
porteur des secrets du ciel.
Son chant tissait des arabesques sur les murs
où les couleurs dansaient
— rouge comme le vin, jaune comme l’absinthe,
bleu comme l’âme des peintres au bord du clocher.

Là, sur le pavé tiède,
Matisse et Derain, géants d’un autre monde,
jetaient des éclats de lumière
comme on dépose des rêves dans la mer.
Leurs pinceaux criaient le feu,
et mes yeux d’enfant buvaient cette tempête,
cette fureur colorée,
cette vie qui se déversait sur la toile du ciel.

Les ruelles de Collioure
étaient des labyrinthes vivants,
des poèmes noués dans la pierre.
Chaque détour portait l’odeur du sel,
de la résine chaude des pins,
des oranges éclatées sous les pas.
J’y courais pieds nus,
l’écho de mes rires s’enroulant
autour des façades mordorées.

La mer me parlait la nuit,
lancinante, infinie,
et je croyais entendre dans ses vagues
les histoires d’un monde ancien,
des récits de tempêtes et de sirènes,
les murmures des exils,
Machado égaré sous le ciel noir,
ses vers devenus poussière d’étoiles.

Collioure, tu étais tout cela :
le souffle des artistes,
le cri des goélands,
la morsure de l’éternité
dans le creux de mes mains d’enfant.
Je t’ai portée en moi,
cité sauvage et solaire,
et dans chaque battement de mon cœur,
je sens encore
tes éclats,
tes folies,
ta lumière qui déchire.


 Catherine Andrieu, Incendies ailés, Encres Vives, n° 553, n° août 2025.