Critique de
Hervé Rostagnat

Notes de lecture Catherine Andrieu

Catherine Andrieu dit en parlant de son œuvre : « Elle présuppose que l’on connaisse l’histoire de la poésie, du symbolisme d’un Baudelaire jusqu’au néo surréalisme, puis qu’on l’ait oubliée1 ».


C’est exactement la définition de la culture. Alors faut-il être cultivé pour lire cette poétesse ? Nous ne le croyons pas notamment grâce à la beauté simple de certains de ses vers dont elle dit d’ailleurs qu’ils sont parfois qualifiés de naïfs2. Et pour le reste ? Symbolisme ? Néo surréalisme ? Qu’importe. La poésie n’est-elle pas par essence surréaliste ? Et le rêve, ne l’est-il pas aussi ? La nécessité de ce
background culturel ne vient-il pas se heurter à l’idée selon laquelle l’œuvre peut être aimée pour elle-même. Mais aimer l’art pour l’art ne suppose-t-il pas aussi une éducation ? C’est dans ce nœud de contradictions qui supposent la nécessité du doute que nous apprécions l’art et la richesse des œuvres (littéraires et picturales) de Catherine Andrieu.


La liberté du poète n’est-elle pas précisément celle qui consiste à se libérer de tous les carcans formels de la poésie classique où l’auteur fait montre de virtuosité en contenant ses propos dans des contraintes matérielles, structurelles, rimiques et rythmiques ? Le travail sur le texte taillé comme une gemme est incontestablement source de beauté. Mais comment faire sourdre la beauté d’une œuvre qui se dispense, en tout cas en apparence, des « règles de l’art » ? Car : « il ne suffit pas de mettre des majuscules à la ligne pour faire un poème », disait un poète de mes amis. Soit. Mais c’est justement là où Catherine Andrieu excelle, notamment dans la combinaison d’une matérialité de ses œuvres où s’exprime souvent de manière polysémique la puissance de l’émotion qu’incarnent la mer, l’animal, la nature et le mystère de ses rêves où l’association improbable d’images touche à l’essence même de la poésie.

« Je gratte à ta porte mon Amour sublime3
Comme une petite chatte gourmande ouvre-moi
Je t’ai tellement rêvé entre mes lèvres à travers lui,
Sa langue, son odeur, ton sexe toi l’Aube et la forêt,

Lui la nuit et l’Océan ».
« Ce petit oiseau mort je l’avais avalé.
Bien à l’abri, il respirait par mes narines
Picorait ma langue, était bien au chaud
Dans ma bouche mais un jour j’ai hurlé
Il s’est envolé ».

Catherine Andrieu évoque cette approche Mallarméenne du travail poétique lorsqu’elle dit : « La poésie ça ne sert à rien, c’est la définition même de la poïesis et je n’aime pas l’art engagé4 ». En un mot, faut-il du sens pour émouvoir, du discours, de l’engagement ? Contrairement à Victor Hugo qui, dans « La fonction du poète5 » assigne à l’écrivain un rôle de penseur et de prophète, elle se débarrasse de l’action même qui consiste à écrire en s’échappant de la technique au profit de l’objet de beauté qui s’abstrait de tout contenu. « Mon écriture est pure expérience esthétique, elle n’a pas de finalité, elle ne porte pas de message. Elle se nourrit de ma vie » ; « Je crois que pour entrer dans mon univers, il faut accepter de ne pas comprendre intellectuellement le propos et laisser son inconscient divaguer d’image en image. Ma poésie est un voyage dans l’épaisseur de l’inconscient6 ».


Mais si l’écriture de Catherine Andrieu se nourrit de sa vie, comment son œuvre peut-être aimable en dehors d’une profonde  subjectivité émanant de ce qu’elle n’hésite pas à appeler sa folie ?


Catherine Andrieu nourrit son œuvre de références à sa « folie ». Elle sait mettre en perspective les apparentes contradictions entre les souffrances psychiatriques qu’elle endure et qu’elle évoque dans ses interviews comme une réalité matérielle et le rôle cathartique que tout artiste joue dans une société. Sa marginalisation, ou sa récupération, procède de la nécessité de relativiser le pouvoir
du Roi par le divertissement et le sarcasme. C’est le rôle du fou du roi dont la folie, bien souvent fictive, sert de garde-fou aux risques autoritaires : « Mais, depuis la marge où il est relégué (le poète), il offre des miroirs subversifs à la Cité, il renvoie ce qu’il interroge et critique. Alors seulement il est réintégré à une société qui s’interroge sur elle-même7 ». C’est en effet dans l’idée de la marginalisation et de la récupération que Catherine Andrieu se rapproche du message hugolien relatif à « La fonction du poète ». Elle est confinée chez elle avec sa chatte Lune – un de ses recueil s’intitule « Parce que j’ai peint mes vitres en noir » – mais elle est également une poétesse reconnue.

« D’accord j’étais folle, une fille du Vent sur l’Océan
Et de la Tempête, et j’ignorais à quel point
Je t’aimais ».

« Je suis ton Implorante et tu es mon Rodin
De Camille C. je n’ai ni la force ni la grâce
Yeux bleu nuit, cheveux châtains, la folie si ».

La vérité de Catherine Andrieu est une vérité de souffrances qui n’exclut pas la maitrise du mal et son « recyclage » a postériori à l’instar de ce que raconte le peintre Gérard Garouste dans son livre au sujet de la bipolarité et auquel elle fait référence. Elle dit : « la plupart des fous croupissent au fond des asiles et ont perdu la parole »8. Garouste dit : « On ne peut peindre que si l’on va bien. Le délire est un trou noir dont on sort dans un état d’extrême sensibilité bénéfique pour la peinture, mais le lien légendaire entre la folie et l’art s’est trop souvent changé en un raccourci romantique. Le délire ne déclenche pas la peinture, et l’inverse n’est pas plus vrai. La création demande de la force9 ».


L’évocation de sa folie va donc bien plus loin qu’une coquetterie romantique comme fondement identitaire.


Les théoriciens de l’objectivisme en matière d’art10 considèrent que tout art se caractérise par sa forme et non pas par son contenu. L’art pour l’art suppose qu’on aime une œuvre pour ce qu’elle est, c’est-à-dire objet de beauté pur. Elle ne doit pas être aimée pour les références politiques et sociales auxquelles elle renvoie, ni pour l’égocentrisme qu’elle ravive chez le lecteur, le spectateur ou l’auditeur ni pour l’intérêt voire l’affection qu’on peut porter à l’auteur. Elle ne nécessite aucune explication. Catherine Andrieu se défend d’être aimée pour d’autres raisons que son art. On a compris qu’il n’y a pas chez elle une identité figée autour de laquelle tournerait son œuvre, son style et son public. Sa contradiction est précisément sa richesse. Elle dit : « Ainsi je suis guidée par une « logique » d’abolition des principes d’identité, et de contradiction. Ça n’est pas si simple, il faut que chaque personnage soit aussi un peu un autre, dans une réalité évanouissante où l’on ne se baigne pas deux fois dans le même fleuve, comme le dit Héraclite, c’est-à-dire pas même une fois : ça supposerait une identité11 ! ». L’identité de Catherine Andrieu c’est précisément de ne pas en avoir au sens nietzschéen de son instabilité vécue comme une force. C’est cette volonté de puissance qui la pousse malgré elle en permanence à réévaluer son existence confrontée à l’adversité.

« Tu es l’horizon et moi je suis la mer
Qui vient mourir sur le sable
Tu es le souffle léger et moi je suis la Terre
Tu es les étoiles et moi l’Univers »


« Mais surtout regardez-moi. Parce que bientôt
Je ne serai plus qu’une ombre errant dans les couloirs
De la psychiatrie, loin du soleil d’Aix-en-Provence
Sous les néons blafards de l’hôpital de Maison Blanche,
Mélancolique et parisienne, folle et amoureuse, une bête
Traquée dans la ville et son périph qui gronde comme l’Océan ».

1 Interview Catherine Andrieu par Jacqueline Andrieu http://www.pandesmuses.fr/lettreno14/catherineandrieu
2 Solitude et liberté de Catherine Andrieu — entretien avec l’auteure conduit par Jean-Paul Gavard- Perret (novembre 2022) https://www.catherineandrieu.fr/interview/.
3 Tous les extraits de poésies qui figurent dans cette note sont issus du recueil « Le cliquetis des mâts » publié chez Rafael De Surtis.

4 Ibid. Interview Catherine Andrieu par Jacqueline Andrieu.
5 Victor Hugo « La fonction du poète » Les Rayons et les ombres.
6 Ibid. Interview Catherine Andrieu par Jacqueline Andrieu.
7 Ibid. Interview Catherine Andrieu par Jacqueline Andrieu.
8 Ibid. Interview Catherine Andrieu par Jacqueline Andrieu.

9 « L’Intranquille » — Autoportrait d’un fils, d’un peintre, d’un fou », autobiographie, publiée aux éditions L’Iconoclaste, 2009.
10 Par exemple Santiago Espinosa « L’objet de beauté » chez Les belles lettres, Encre marine 2021.
11 Ibid. Interview Catherine Andrieu par Jacqueline Andrieu.