Soleils et cendre, Les cahiers du sens, Lichen, Le Pan des Muses, Comme en poésie, Incognita, Point barre, N4728, Traversées, Le Capital des Mots, Poésie Mag, Mot à maux, Portulan bleu, " Dans la nuit " ( inédit, texte écrit à l'âge de 11 ans) in L'hôte n° 9, La Rose des temps , La Piraña
DANS LA NUIT
Mes jours n’étaient que désolation et chaos. Jour après jour je me détachais davantage du monde et de ses ténèbres de l’ignorance et de la bêtise. Les plaisirs vulgaires surtout, me laissaient sans voix, et me faisaient sentir si seule. Moi je cherchais le pourquoi des choses depuis toujours, le Sens de l’existence, la clé, le créateur. J’étais une sorte de « philosophe », je me sentais différente, marginale sans en avoir fait le choix. Je ne supportais pas la médiocrité surtout, je n’aimais que les écrivains, les poètes, et c’est ça que je voulais vraiment devenir. Mon père voulait que je fusse médecin. Moi je savais -puisse-t-on pardonner mon orgueil, que mon intelligence ne trouverait pas de limites...
Ce soir encore j’étais là, assise au bord du lac. Cet endroit me servait de lieu de recueillement, où je me sentais l’âme en paix, vraiment isolée. Ainsi j’avais pour unique compagnon le doux clapotis de l’eau, tendre murmure qui me transportait dans un frémissement. Les astres, illuminant la nuit imperméable de mystères, se reflétaient sur le miroir lisse de l’eau. La lune y avait sa place aussi, invariable quelles que fussent les heures sur le cadran du temps. Je pouvais rester ainsi, dans cette contemplation, ivre de bonheur. Et c’étaient pendant ces moments de fulgurantes inspirations, où les perles de clarté gagnaient sur les ténèbres, que j’écrivais mes plus beaux poèmes, qui m’étaient dictés du Grand Tout Cosmique.
Alors que j’étais profondément plongée dans une contemplation des plats galets luisant à la lueur des astres, un cri strident déchira la nuit. Aussitôt je me redressai et me mis en quête d’une femme, blessée peut-être... Je commençai de courir entre les arbres, provoquant un crissement des feuilles sèches annonçant le début de l’automne. J’avais beau lever les yeux, je ne voyais pas les cimes des arbres, mais pouvais les imaginer crevant le ciel... Soudain je distinguai une ombre couchée devant moi. Je la relevai en la prenant sous les aisselles et la fis assoir au bord du lac. Je vis qu’elle avait une plaie sur le crâne, sans doute s’était-elle cognée contre une racine en tombant. Je lavai très soigneusement la blessure à l’aide de mon mouchoir mouillé. Son visage était doux, ses traits réguliers. Ses grands yeux et son visage poupin me laissaient penser que j’avais à faire à une très jeune fille, un peu plus jeune que moi, une enfant peut-être... L’image devint floue dans un léger tremblement, sans doute un poisson-lune, et j’aperçus mon reflet... J’avais une blessure à la tête.
Catherine Andrieu
( Texte d'enfance )
Illustrations : peintures de Catherine Andrieu. Septembre 2018.
Anthologie du rêve. ( Sous la direction de Laurence Bouvet ) . Editions Unicité, 2018.
Illustration : dessin de Jean-Louis Guitard.
Des jasmins en bord de mer. Poésie méditerranéenne. Association Luna Rossa. 2021.